Brain Damage meets Big Youth – Beyond The Blue – Cette œuvre est un bijou fin et subtil, un curieux sentiment de plénitude !

Une histoire, dans l’Histoire… Où comment résumer en quelques mots l’incroyable et terrible aventure vécue par Martin Nathan aka Brain Damage et son fidèle compagnon Samuel Clayton, partis en Jamaïque au mois de mars 2020, pour une collaboration avec le légendaire Big Youth, une aventure que l’on retrouve en 12 épisodes sur l’album « Beyond The Blue« … Le Reggae a perdu un grand homme, dont la mémoire perdurera dans ce magnifique album produit par Jarring Effects !

Brain Damage meets Big Youth – Beyond The Blue

 

L’album « Beyond The Blue » s’ouvre sur ‘2020 I Pray Thee‘, premier extrait partagé il y a déjà plusieurs semaines, où la voix chaleureuse et incantatrice de Big Youth se fraie un chemin tranquille entre une batterie granuleuse et une contrebasse sèche et enveloppante (lire la chronique). La prière Rastafari, reprise d’un tube du même nom de Big Youth sorti en 1974, et réactualisée « 2020 » pour l’occasion, raisonne comme un appel vers l’au-delà, en cette année terrible qui nous aura tous marqués de sa froide réalité, et en particulier les acteurs de ce projet émouvant. Pourtant, le ton grave du Deejay se veut rassurant, très vite rejoint par les phrasés ronds et discrets de Fred Roudet à la trompette, s’entrelaçant délicatement avec l’épopée jazzy et cosy dans laquelle nous emmène Brain Damage, tout en décontraction, entre caisses claires duveteuses et pianos feutrés.

L’entrée en matière est intime, toute en promiscuité familière, comme pour nous laisser le temps de nous installer au plus près de ce qu’ont à nous dire ces artistes à vif, au milieu des cliquetis des machines et des commentaires en off du maître de cérémonie… Ce juste équilibre annonce finalement la couleur d’une œuvre à la fois forte et légère, grave mais résolument optimiste, un clair-obscur entre nostalgie et éclats de rire qui ne laissera derrière lui qu’un doux sentiment d’apaisement.

A peine sortis de cette rêverie en trois minutes que le rire communicatif de Big Youth nous rappelle à la réalité, et le Reggae organique de ‘Educated Fool‘ s’invite dans nos oreilles d’un air chaloupé et entraînant. Comme lors de précédents projets, Martin Nathan fait appel au duo Artdeko pour la section cuivre, dont les arrangements chaleureux parsèment l’album de belles couleurs mélodiques. Au deux tiers du morceau, le mix s’épure progressivement pour laisser parler les effets et rappeler, si besoin il en était, toute la maîtrise Dub de Brain Damage.

Samuel Clayton Jr

Après un ‘Good to Talk‘ tout autant enjoué, Big Youth introduit le morceau ‘Wareika Hill‘ avec un hommage à Count Ossie et Samuel Clayton, qui n’est autre que le père de Samuel Clayton Junior, prolifique mélomane et grand entremetteur entre les artistes Jamaïcains et le reste du monde depuis qu’il s’était installé en France au début des années 2000. Ce talentueux producteur, à l’origine du présent album aux côtés de Brain Damage, tout comme il l’avait été pour un précédent projet de l’artiste « Walk the Walk » (lire la chronique) en sélectionnant et lui présentant les invités, nous a malheureusement quitté l’année dernière, emporté par le covid alors même qu’il faisait les prises de Big Youth à Kingston.

Big Youth (Picture by Carlo Crippa)

Les collines de Wareika, à l’Est de la ville, ont vu la naissance d’une des premières communautés Rastafari, créée par le percussionniste Count Ossie, et qui contribua à populariser la philosophie Rasta dans l’île de la Jamaïque. De nombreux musiciens s’y retrouvaient régulièrement pour de longues jams de percussions Nyabinghi, précieux moments de connexion musicale que relate Big Youth avec passion dans ses paroles. Count Ossie forma plus tard le groupe nyabinghi The Mystic Revelation of Rastafari qui comptait notamment parmi ses membres le père de Samuel Clayton Jr., qui l’initia très tôt à son univers musical. En découle un hommage vibrant où Big Youth nous dévoile une large palette de ses talents, entre murmures et cris, chants et spoken word inspiré, s’achevant dans un nuage de Delay et de Spring Reverb sur le témoignage poignant de Samuel Clayton Jr lui-même parlant de l’impact qu’on eut ses parents sur sa vie et ses choix.

Le Reggae a perdu un grand homme, dont la mémoire perdurera dans ce magnifique album !

Beyond the Blue‘, un hymne à l’amour, chasse vite cette tristesse avec ses magnifiques mélodies cuivrées et sa rythmique précisément ciselée. Le morceau donne aussi son nom au disque, et pourrait rappeler à certains la fameuse Blue note bien connue des jazzmen et bluesmen, une altération de la gamme pentatonique souvent utilisée pour exprimer dans la musique une certaine mélancolie. L’interprétation n’engage que moi, mais je vois dans ce titre comme un message que porte le disque : aller « au-delà » du blues, beyond the blue (note), dépasser l’adversité et transformer chaque expérience, bonne ou mauvaise, en positif, comme le chante un peu plus loin Big Youth dans le morceau ‘Those Days‘. The show must go on, en somme, et ça marche ! Là encore, Brain Damage fait la part belle à la voix de son invité qui finit le morceau presque en a capella, seulement soutenu par de discrètes nappes de trombone et de trompette… Magnifique !

La suite réserve encore de très belles pièces, notamment ‘Biological Warfare‘ où le poète nous livre son interprétation de la crise sanitaire, ou encore ‘Mama Africa‘. La formule est plusieurs fois répétée avec succès : on commence avec une composition Reggae très léchée et organique, puis Martin nous entraîne subtilement vers une seconde partie dubbée à merveille, filtrant la voix, contrôlant du bout de ses doigts les saccades de skanks s’envolant dans les profondeurs de Delay… Comme une face B en direct donnant une dimension toute autre à la voix de Big Youth, presque nostalgique.

C’est particulièrement le cas sur le très bon ‘Grandma’s Joint‘, où un harmonica bluesy répond aux interventions parlées, tout deux nous faisant voyager par-delà le Dub vers une conclusion Folk Blues au coin du feu, ‘Dying Too Young‘, complainte toute en spleen sur fond de guitare acoustique.

Encore une fois, sans occulter les difficultés, Big Youth semble nous prendre par la main pour nous raconter avec malice et bonne humeur ses souvenirs de studio dans ‘Those Days‘, un ska tout en optimisme : « merci pour les bons moments, et merci pour les mauvais aussi… La vie est ce que l’on en fait ! ». La messe est dite !

La richesse expressive de Big Youth et la qualité instrumentale des compositions sont bluffantes – de bout en bout, cette œuvre est un bijou fin et subtil, que l’on est pressé de retrouver en live dans les concerts très intimistes que prévoit Brain Damage pour le reste de l’année. Dix heureux élus pourront, une heure durant, se délecter du talent de l’artiste qui mixera l’album de ses doigts de fée, un peu partout en France. Les dates et réservations viennent de sortir, ne les manquez pas !

Martin nous quitte finalement avec ‘Play It Again‘, une seconde version de ‘2020 I Pray Thee‘, qui avait initié ce voyage, et qui le conclut toute en douceur, comme si les deux artistes nous ramenaient à l’entrée de leur univers après nous y avoir promené au milieu des joies, des peines, des bons souvenirs surtout, entre poésies déclamées et bécanes ronronnantes.

« Beyond The Blue » de Brain Damage meets Big Youth : une virée qui ne laissera personne indifférent, mais diffuse dans l’air et les esprits un curieux sentiment de plénitude.

« It finish… »

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Large Up Martin,
Guru Pope

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